Interview de Jean-Marc Boyer de Total Manga

Dans le cadre de la sortie prochaine du magazine Total Manga, j'ai profité d'avoir pu consulter la revue avant sa sortie officielle le 29 septembre pour poser quelques questions à Jean-Marc Boyer, directeur éditorial et marketing de TM concernant son dernier bébé. L'occasion de revenir sur un projet audacieux dans un contexte économique franchement morose et où lancer un magazine gratuit dans un secteur ravagé, sans groupe de presse derrière soi, relève de l'audace pure.

TM le mag, c'est 68 pages de news, de dossiers sur le manga, l'animation, le cinéma... également Simulacre, un manga français signé Olivier Desmonts (scénario) et Philippe Jeanneteau (dessin). Tout ça gratuitement.

Peux-tu nous expliquer la genèse du magazine TM ? Comment est née l'idée d'un mag papier ?

Le magazine papier gratuit est une des idées que nous avions au tout départ lors de la création de Total Manga, mais à cause de nombreux a priori sur les risques du papier, et du fait qu'on était une équipe "d'hommes du net", on a préféré se concentrer sur ce média que nous maîtrisions. Le mag n'a cependant jamais quitté mon esprit, et ma rencontre par hasard avec Max Metayer, qui souhaitait lui aussi sortir un mag de ce type a fini de me convaincre qu'il fallait nous lancer c'était en mai 2010, le reste est allé vite.

L'envie est simple, communiquer sur cette culture riche qui nous passionne, sans tomber dans le magazine trop spécialisé. Je trouve dommage de réduire la culture japonaise au seul manga, ou à l'animation. De l'autre côté, ces éléments sont importants et permettent au Japon de s'exporter, et nombre de gens (dont moi) ont découvert le Japon par ce biais. Seulement, on peut parler d'entertainment aux gens sans pour autant s'adresser à un public d'enfant. Nous voulons un magazine qui soit intéressant pour les jeunes, tout comme pour les adultes voire les néophytes.

Quel est son positionnement vis-à-vis de la concurrence (Animeland, Made in Japan...) ?

Animeland comme son nom l'indique est consacré à l'animation. Il traite aussi par extension de manga, mais se limite à ces médias. En lisant Total Manga, on se rend compte que l'ensemble des contenus est assez équilibré et que nous abordons des points plus larges. Ensuite concernant Made in Japan, je pense aussi que nous ne sommes pas exactement dans la même cible, notre lectorat est plus âgé, Made in Japan s'adresse bien plus aux jeunes adolescents.

Comment vous différenciez-vous selon toi ?

Nous avons fait le pari risqué de le positionner en tant que gratuit, pour rendre accessibles nos contenus au plus grand nombre, là où d'autres magazines coûtent le prix d'un manga. Et malgré cette gratuité, nous fournissons un contenu de qualité. L'autre point, comme évoqué précédemment, c'est le contenu et la cible où nous touchons plus les 18-35 ans que les 15-25 ans.

Et ne va-t-il pas faire de concurrence non plus à TM le site ?

Le site est un tremplin pour le mag, et le mag [...] sera un tremplin pour le site.

Nous ne sommes pas sur le même média. Au contraire, je pense que si nous avions lancé le magazine sans le site, nous aurions eu beaucoup de mal. Tout simplement, nous avons été suivi par plusieurs annonceurs parce qu'ils connaissaient le site et que notre travail était déjà reconnu. Le web, c'est l'instantané alors que avec cette revue, nous sommes plus dans l'analyse. En plus de ça, je viens du  de l'Internet à la base et il me semble inconcevable en lançant un magazine, d'en faire un média à part. Donc il y aura des ponts entre les deux, par exemple, dans les articles que nous préparons pour le futur, il y aura des reportages. Là où une partie éditoriale sera diffusée dans le mag, le web pourra accueillir des compléments. C'est déjà le cas avec les interviews, mais imaginons un reportage vidéo qui viendrait en complément d'un papier sur le voyage... Pour moi, le site est un tremplin pour le mag, et une fois le mag sur son rythme de croisière, ce sera un tremplin pour le site. Les deux doivent fonctionner ensemble.

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Quelles sont les plus grosses différences en terme de travail entre un site d'info et un magazine selon toi ? Quels ont été les plus gros écueils ?

Le "print" pour un gars issu du "web", c'est presque l'enfer

Sur Internet, le plus lourd c'est de préparer la structure d'accueil du contenu. Une fois cette étape réglée, il ne reste plus qu'à injecter le contenu, qui est modifiable facilement. La mise en ligne, le retrait ou la modification du contenu sont simples et on économise en terme de temps de travail. Globalement, mise à part la phase de conception, c'est très simple. Le "print" pour un gars issu du "web", c'est presque l'enfer. Le travail de maquette notamment est primordial et il convient de faire attention à chaque page. Obtenir les contenus nécessaires s'avère également plus compliqué : pour un résultat visuellement réussi sur le papier, on a besoin de contenus de meilleure qualité que sur Internet. Par exemple, nous avons fait sauter un article sur le numéro un (qui devait même faire la couv) car impossible d'avoir le matériel pour en faire un traitement correct. Sur Internet, nous aurions pu le sortir deux semaines après. Là, il faut passer par des prestataires pour la maquette, l'impression, etc. soit bien plus de contraintes. Je préfère le web ! Mais je mentirais si je disais que découvrir cet aspect n'est pas intéressant.

Pourquoi avoir choisi un modèle de magazine gratuit ?

Comme dit précédemment, l'objectif c'est de rendre cela accessible au plus grand nombre. Avec un gratuit, nous pouvons aussi toucher des néophytes qui auront moins de réticence à lire autre chose. On ne voulait pas non plus que notre magazine devienne élitiste, et ce dans tous les sens. L'objectif est simplement de réussir à retomber sur ses pattes tous les mois, et ceux qui nous suivent dès maintenant nous le permettent. Si les lecteurs aiment notre travail, la meilleure récompense qu'ils peuvent nous faire, c'est de prendre des abonnements - qui commencent à 20€ (15€ jusqu'au 29 octobre). Ils nous permettent d'être moins dépendants des annonceurs et d'améliorer la qualité au fur et à mesure. Cela reste facultatif, même si pour certains coins de France ils n'auront dans un premier temps que cette solution (ou un bon pote) pour avoir la version papier. La version PDF restera cependant disponible pour tous.

On ne voulait pas non plus que notre magazine devienne élitiste

Cet abonnement constitue pour nous un soutien supplémentaire et on compte aussi le récompenser. C'est pourquoi nous avons décidé de faire partir chaque année un de nos abonnés au Japon. Si un jour on atteint 20 000 lecteurs, nous en ferons peut-être gagner plus ! Dans le même ordre d'idée, nous recherchons en permanence des avantages et des bons plans pour en faire profiter nos abonnés. Avec ce magazine, on est dans une logique d'échange avec notre lectorat.

Nous avons également le doux rêve d'implanter de la prépublication dans un magazine français. Et selon nous, si le système ne marche pas actuellement avec du manga, cela tient principalement au prix d'acquisition des œuvres en France qui s'impute forcément sur celui du magazine. Les lecteurs préfèrent acheter directement leurs livres plutôt qu'un magazine et en plus, une revue de ce type circule moins bien, contrairement à un journal qui s'échange largement dans nos métros. Ça ne marchera peut-être jamais, mais il faut bien tenter !

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D'où le choix d'un auteur de "manga français" ?

On aurait aimer pré-publier One Piece dans le mag, mais entre l'achat des droits, la traduction, les délais d'approbation et tout le tralala, c'est même pas imaginable, surtout dans un gratuit ! ;) Plus réalistes, on a fait le choix de publier des auteurs qui nous sont d'abord accessibles, et qui produisent des œuvres qui soient d'un niveau assez intéressant pour être publié. Nous avons repéré plusieurs auteurs, et fait des choix. Si c'est une formule qui marche, on publiera peut-être plus d'auteurs à long terme. C'est un coup d'essai et nous nous sommes engagés à diffuser cet auteur sur les 11 prochains numéros.

C'est aussi un projecteur pour ces auteurs avec la chance possible de se voir repérer si leur œuvre plaît et d'accéder peut-être à l'édition. Enfin, nous avions aussi un auteur Japonais avec qui cela aurait pu se faire, mais c'est aussi un clin d'œil intéressant que de voir des français au style manga, publiés dans un mag dédié à la culture japonaise. C'est une façon de montrer que tout un pan de cette culture a été assimilé par une génération et qu'elle est retranscrite à travers les créations de ces personnes. Cette mixité, c'est aussi une richesse et ça on souhaite l'encourager. On continue toutefois notre prospection, et nous ne nous limitons pas aux Français. Des ponts avec des auteurs ou des écoles de mangaka japonaises sont tissés et l'avenir nous dira si nous aurons la chance d'être les découvreurs de nouvelles perles.

Comptez-vous l'éditer par la suite ?

Concernant une future édition du titre, c'est une possibilité, si l'œuvre plaît et qu'il y a une demande, pourquoi pas. En tout cas nous en détenons les droits qui pourraient aussi être cédés à une maison d'édition intéressée. La prépublication dans un gratuit, distribué à cette échelle (minimum 30 000 tirages mensuels), c'est une visibilité énorme qui peut permettre à de superbes titres de sortir de l'ombre. J'ai notamment une série coup de cœur en tête qui n'a pas marché en France faute de reconnaissance, dont la saison 2 ne sera pas éditée alors que c'est l'un des meilleurs seinen édités en France.

Pour revenir au magazine, comment le financez-vous ?

la qualité d'un produit d'information, de service, c'est de respecter l'utilisateur

Auto-financement complet. Une partie provient de nos fonds propres, l'autre, comme je l'ai évoqué plus haut, de la publicité. Nous réalisons un travail de qualité (sans fausse modestie et sans arrogance), et c'est agréable pour un annonceur de communiquer sur un support de qualité. J'ai toujours insisté sur cet aspect car la qualité d'un produit d'information, de service, c'est de respecter l'utilisateur. Les annonceurs qui ont travaillé avec nous, qui nous ont soutenu en achetant de l'espace publicitaire savaient qu'ils auraient une communication de qualité. Tant que nous maintenons cet équilibre, ce bon rapport de force, nous pourrons continuer. Maintenant, la principale difficulté est que nous dépendons pour le moment de ce financement, même si le magazine peut être soutenu à ses débuts par le site Internet.

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Quels sont vos objectifs ?

L'objectif idéaliste, c'est permettre la découverte de cette culture au plus grand nombre. Faire changer les principales idées reçues, inviter les gens à développer leur curiosité, à s'ouvrir à une autre culture.

Combien de temps vous donnez-vous pour devenir rentable et autonome ?

Nous sommes déjà à l'équilibre ! Et c'est une obligation étant donné notre indépendance journalistique. Nous accueillons de la publicité, mais nous devons rester indépendants sur nos propos. Il est hors de question de faire de l'article de complaisance, nous sommes un média d'information, pas un outil publicitaire. Au delà de ça, plus nous diversifierons nos sources de revenus (publicité, abonnements, subventions) plus nous pérenniserons ce projet et c'est un objectif à court terme.

Pourquoi le magazine n'est-il principalement disponible que sur Paris ?

Comme je le disais précédemment, le magazine est gratuit et entièrement auto-financé. Dans le même ordre d'idée, pour l'instant nous sommes notre propre distributeur. C'est pourquoi notre magazine est disponible surtout dans les librairies en région parisienne, là où nous pouvons effectuer la livraison. Nous avons également des points de chute sur Caen et Nantes. Nous espérons bien sûr développer cette couverture mais voilà où nous en sommes pour l'instant. Cependant, les lecteurs qui n'ont pas la possibilité de trouver le magazine près de chez eux peuvent bien sûr télécharger la version PDF.

Merci pour toutes ses réponses. Un dernier mot ?

De rien. Je résumerai en disant que le magazine Total Manga, c'est beaucoup d'envie, d'espoir, de projets mais au final, seule la vérité du terrain parlera.


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