Interview de Ryu Geum-Chul (Ares, Booken)

À l'occasion du salon Paris Manga 13, nous avons eu la chance de rencontrer Ryu Geum-Chul, auteur chez Booken Manga de Ares et La Légende du roi Muryeong. Ravi de sa visite en France auprès de ses fans, le manhwaga a bien voulu répondre à nos questions sur sa carrière et ses œuvres.

 

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1. M. Ryu Geum-Chul, quel a été votre parcours ?

Mon premier choc, ce qui a créé le déclic, c'est la série animée Conan, le fils du futur. D'emblée, cette histoire m'a emballé et a été une source d'inspiration majeure dans le commencement de mon métier de dessinateur : mahnwaka.

Mais ce ne fut pas chose facile, alors que dès le lycée l'envie incessante de dessiner était déjà bien ancrée en moi, l'accueil de cette passion et le souhait d'en faire une profession fut difficile, voire même une source de conflit avec ma famille.

Orphelin de père depuis déjà quelque temps, ma mère voyait d'un très mauvais œil que le fils de la maison décide de se lancer dans une carrière professionnelle instable et loin des canons de la réussite. Et ce n'est pas non plus vers ma grande sœur que je pouvais me tourner, elle qui était encore plus réticente à cette idée.

Et pourtant, en dépit des foudres féminines m'invectivant de quitter le foyer familial si je voulais devenir mahnwaka, je suis resté et j'ai commencé à éplucher les petites annonces. En effet, pour commencer il me fallait devenir apprenti auprès d'un mahnwaka. Ce choix, selon moi, était le plus pertinent car il n'y avait que très peu de chance d'intégrer une maison d'édition quelconque surtout sans expérience, mis à part ma soif intarissable de dessiner. Je préférais donc me tourner vers les auteurs qui accepteraient de prendre un apprenti. Trois auteurs ont alors accepté, je me suis tourné tout naturellement vers le plus connu des trois : Kwon Kaya. Ce choix n'était pas étranger au fait qu'une des productions de cet auteur s'était vue éditer au Japon, un rêve pour moi qui avais été influencé par des animes japonais.

(NDLR: En Corée, le manga le plus adulé est sans contexte Slam Dunk de Takehiko Inoue, un des seuls titres que tout fan se doit de posséder dans sa collection de tankobon alors que la tendance générale est à la consommation numérique)

J'ai réalisé ainsi deux années d'apprentissage jusqu'à ce que mes devoirs civiques me rappellent, puisque j'ai dû effectuer mon service militaire pendant deux ans. Après ces deux années, j'ai rejoint l'éditeur Sejong qui m'aidera à sortir Ares.

C'est ainsi que je me suis lancé dans mon premier mahnwa : Ares. Mais ce ne fut pas chose facile car sortir mon mahnwa (ou un manga), c'est avant tout se confronter à un éditeur. Concernant Ares, on me reprochait sa violence jugée excessive et son pessimisme, ce qui m'a amené à être éconduit. C'est l'éditeur Sejong qui a accepté de publier Ares, toutefois l'entreprise fit faillite après 14 volumes sortis ce qui m'a conduit à vivre une période de 6 mois de chômage. Cependant, je n'ai pas arrêté de dessiner pour autant, j'ai utilisé un site internet pour continuer à publier mon mahnwa. Un premier contact, qui aujourd'hui me fait songer à une réutilisation de ce média afin de toucher un plus large public (NDLR: la diffusion des mahnwas via le web est très répandue en Corée du sud). Et c'est grâce à BookHouse que j'ai pu terminer Ares en 26 tomes qui fut au passage réédité intégralement. C'est BookHouse qui m'a imposé de terminer en 26 volumes. Étonnamment ce n'est pas BookHouse qui a les droits sur Ares puisque suite à la faillite j'en ai récupéré les droits. Du coup, je peux en parler très librement.

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2. Comment procédez-vous à la création d'un mahnwa ?

Pour moi, avant que toute histoire ne soit décidée, ce qui prime c'est la création d'un monde. Mon processus créatif débute par une réponse à la question: Où sommes- nous ? Une fois l'univers défini, c'est le monde créé qui va imposer les personnages. Leur existence et leur cohabitation n'ont de sens que dans cet univers. J'imagine donc d'abord un univers, puis mes personnages.

3. Mais alors comment construisez-vous votre histoire ?

C'est un tout qui va s'insérer dans ce monde. Bien évidemment, j'en ai une vision globale, j'en vois les évolutions, autrement dit ce vers quoi va tendre la narration. Mais encore une fois c'est le monde inventé qui va façonner l'évolution de la trame scénaristique. Au fil de la progression, des idées me viennent et je vais les intégrer dans ma première vision de l'histoire.

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4. Et avez-vous une préférence pour que cette histoire s'étale sur de nombreux volumes ou plutôt qu'elle aboutisse à une série courte ? (NDLR: Alors que Ares s'étale sur 26 tomes Nephilim et Muryong sont en 5 volumes)

De façon générale, je vais préférer les histoires longues qui vont courir sur plusieurs chapitres afin de bien en développer les tenants et les aboutissants. Ainsi, j'ai une volonté créatrice de séries qui seront « feuilletonnantes ». Je vais éviter d'avoir des petites histoires qui ne s'inséreraient pas dans l'arc de mon histoire. Je cherche à éviter le genre de petites histoires en plus que l'on peut voir dans certaines séries animées qui s'éloignent du fil narratif principal (NDLR: des fillers) .

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5. Et dans vos histoires, est-ce que vos personnages sont inspirés de certains de vos traits de caractère ?

En toute sincérité, pour le personnage d'Ares, c'est en effet le cas. Il est sans doute le personnage qui me ressemble le plus. Pourtant à sa genèse, ce n'était pas mon but ni ma volonté. Cependant il s'est avéré qu'au fur et à mesure de l'évolution du dessin d'Ares, c'est arrivé de façon pulsionnelle. Et je m'en suis rendu compte.

6. Dans Ares, en plus du titre, on s'aperçoit des références assez nombreuses à la mythologie grecque (Ex: Hadès, le maître des enfers est cité). S'agissait-il du point de départ ?

Oui, tout à fait, c'est ce qui m'a conduit à créer le monde d'Ares. On m'a souvent demandé si des intentions cachées existaient. Ce sont des influences très claires et évidentes que l'on remarque dès les premières pages. En fait, au moment de la création de cette série, j'ai leu un livre japonais de Nanami Shiono issu d'une série intitulée l'histoire de Romains (Roma-jin no Monogatari - Res Gestae Populi Romani: Stories of the Romans, 1992–2006) qui est un best-seller au Japon et en Corée du sud. Je l'ai fortement apprécié et il m'a permis de bien saisir ce qu'était la vie à l'époque de la Rome Antique. La légende des 3 royaumes de Chine m'a aussi guidée dans ma création. Ce livre expose les conflits entre différentes nations dans la Chine Antique. C'est pourquoi, on retrouve tous ces territoires en conflit dans le monde d'Ares.

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7. Dans Muryeong ( à paraître en avril aux éditions Booken Manga), vous avez réutilisé l'histoire des royaumes de Corée pour avoir un moyen de parler du conflit japono coréen ?

Il faut savoir premièrement qu'il ne s'agit pas de mon idée, c'est un choix de l'éditeur BookHouse. J'étais en contrat avec eux. Au début, j'ai refusé mais j'ai fini par accepter. Pour Mureyong, j'ai travaillé avec un scénariste ce qui était une première pour moi et je dois avouer que cela ne s'est pas très bien passé. Beaucoup d'altercations sont nées de ce travail de commande. J'étais en conflit avec ce dernier ainsi comme je n'avais quasi aucune influence je ne faisais que dessiner pour répondre à la demande. Ceci explique que la série n'a pas duré et s'est terminée en 5 volumes. Par ailleurs, comme je l'ai précisé, je n'ai jamais eu de volonté d'avoir un message caché dans mes manhwas. C'est seulement une question d'influence. Il n'y a donc pas d'envie de diffuser quelque message que cela soit ou avis sur des événements passés ou actuels.

8. Nous comprenons donc que vous préférez travailler tout seul. Vous n'avez jamais eu d'assistant par exemple ?

En effet, j'ai toujours travaillé seul notamment sur Ares. Je réalisais tout pour Ares à l'époque où j'étais encore dépendant de l'éditeur Sejong. La seule exception fut Nephilim pour lequel j'avais un apprenti. Toutefois, il n'a eu qu'un rôle très restreint puisqu'il n'a dessiné que les cases. C'est pour cela que je dis que j'ai toujours travaillé seul. Exception faite de Muryeong qui marque un choix qui me fut imposé.

Un éditeur nous contraint à énormément de choses. Par exemple, pour Ares, j'ai dû finir la série plus tôt que ce que j'avais prévu à l'origine. Mais ce n'est pas tout, l'intervention de l'éditeur Sejong, sous contrainte commercial, ne s'est pas limitée qu'à une histoire de nombre de chapitres. D'autres obligations interviennent dans le déroulement de l'histoire en elle-même. Helena (NDLR: la princesse qui apparaît au volume 3) n'était pas du tout prévue dans la narration et ne relève pas de mon désir. L'éditeur voulait que je rajoute une histoire d'amour pour disait-il encore plus amener de lecteurs. Je n'ai donc pas eu d'autre choix que de créer une jeune fille qui allait hanter les pensées de mon personnage principal puisqu'il en tombe amoureux à la première rencontre. Autre chose, les deadlines : pour produire un volume, je n'avais que deux mois et cela m'a contraint à épurer mon dessin. C'est en partie pour cette raison que les dessins d'Ares apparaissent assez vides notamment dans le détail des décors.

9. Et ces choix éditoriaux ont été jusqu'à la mise en page ? Par exemple, on voit vraiment très peu d'utilisation de dessins en double page.

Oui, c'est vrai, en règle générale les éditeurs n'aiment pas cela. Comme vous devez fournir un nombre précis de pages à chaque chapitre cela est pris pour de la fainéantise.

Mais sinon de manière générale comme il y a beaucoup d'action dans mes titres, je n'utilise que peu de double page. Je trouve que cela ne servirait pas l'action où selon moi un découpage en cases diffuse plus de rythme. Une double page ralentirait l'action. C'est donc aussi pour cela que je me limite à trois utilisations par volume relié.

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10. Paris Manga et Booken permettent votre venue en France, comment avez-vous réagi ?

Déjà il faut signaler qu'il s'agit de ma toute première venue en France et ce fut une très grande surprise quand j'ai appris la nouvelle. De même, le fait qu'un éditeur français permette à mes titres de s'exporter est vraiment formidable. Surtout pour Ares qui est ma toute première production et qui date de 2001 ! Je considère cela comme une chance inespérée, quasiment un vrai miracle. (NDLR: Il faut savoir qu'en Corée, Ares n'a pas connu de réel succès)

11. Mais alors comment expliquez-vous cette publication française ?

Selon moi la raison en est simple : internet et le scantrad. Et même si la consommation n'est pas légale, c'est ce média qui a permis de faire connaître mon travail au monde entier. Quel autre support pourrait toucher autant de monde en une seule fois ? Alors j'ai cru comprendre que ce sujet relève d'un malaise en France, ce que je peux comprendre, par son caractère illégal et surtout le fait que l'auteur n'y gagne rien directement. Mais dans mon cas cela m'a permis une édition français et donc ce fut fructueux. Mais je me rends compte que j'ai une opinion complexe sur la question. Évidemment une fois publié, j'espère que le groupe de scantrad a arrêté. Donc quelque part si aujourd'hui je suis en France c'est grâce au scantrad et à ses lecteurs que j'ai pu être édité par Booken.

(NDLR: En France, il reste quelque part un amour pour le papier et une consommation physique importante. En Corée, c'est vraiment très différent. Ils ne travaillent qu'en numérique (comprenez assisté d'une tablette graphique). Ainsi, tous les dessins sont directement publiables sur support numérique et donc sans avoir de travail de numérisation quelconque. La raison de cette manière de travailler est simple, en Corée la consommation de manhwa est dématérialisée. En fait, beaucoup d'auteurs passent par une plate-forme appelée webtoon. C'est différent de la consommation habituelle, elle est assimilable à celle pratiquée quand vous lisez du scantrad, c'est à dire qu'il vous faut soit un ordinateur soit une tablette et surtout une connexion internet.

12. Existe-t-il des salons ou conventions comme Paris manga ?

Non, pas vraiment, mais cela n'empêche pas de faire des séances de dédicaces organisées par mon éditeur. Alors certes, ce type de salon est une nouveauté pour moi, mais j'ai déjà donné des séances de dédicaces en Corée.

13. Pour terminer, un mot à dire à vos lecteurs et aux Mangavores ?

Je tiens sincèrement à remercier tous mes lecteurs ! Merci de lire Ares ! Merci de lire Muryeong quand il sera disponible ! Et un merci chaleureux et tout particulier aux Mangavores qui pourront me lire via cet entretien.

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Mangavore remercie M Ryu Geum-Chul, son interprète Jun et les personnes de chez Booken Manga qui ont rendu cette interview possible.


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