Editeur peu fourni en Seinen, Taifu Comics sortait une jolie surprise de sa poche en 2003 avec Kyoko Karasuma. Mais malgré un début prometteur et un contenu haletant, le titre souffre d'une fin mal menée qui gache un peu le plaisir...
Suivre la série Kyoko Karasuma, c’est un peu comme un bon resto qui tourne mal. Une entrée soignée, consistante et un vrai plaisir à chaque bouchée. Mais le dessert, léger, s’est fait attendre (1 an d’attente entre le tome 8 et 9). Sans parler de la touche finale, le café, plutôt fade.
Prenant part dans un Japon futuriste (en 2050 environ) mais pas forcément dépaysant, l’intrigue nous fait suivre le quotidien de Kyoko Karasuma, la nouvelle policière au sang mi- humain, mi-Oni. Car les Oni, ce peuple issu des légendes japonaises, vivent avec les humains. Secrète, l’existence de ce peuple se révèlera peu à peu, la faute à de violents agissements de la part de certains Oni. Alertée, Kyoko va alors mener l’enquête sur l’origine des Oni mais aussi sur sa propre nature…
Une qualité crescendo
Voilà une base certes classique mais qui verra plusieurs bons points graviter autour d’elle pour la rendre plus intéressante. Ainsi, le clivage Oni-humain prendra la forme d’affrontements physiques, mais aussi politiques. Entre un ministre bousculé par la pression d’une frange de la population ou les revendications nationalistes des Oni, l’histoire gagne en épaisseur. Le passif des différents protagonistes est aussi source de curiosité. Vieilles blessures de guerres, amitiés gâchées, actes regrettés…Les personnages ne sont pas tout blancs, et les luttes intestines sont nombreuses. Voir ce petit monde évoluer dans un univers fragile, loin d’un manichéisme redondant, est une vraie plus-value pour ce titre pourtant clairement orienté action.
A coup de gun fight ou de combats rapprochés, les affrontements, nombreux, sont réussis. Dynamiques et bien découpées, les scènes d’action savent suffisamment se renouveler pour dégager une belle fraicheur à chaque fois. Un effet que l’on doit au talent de Yusuke Kozaki. L’auteur, déjà vu au design de Speed Grapher (Gonzo / Declic Image) et du jeu No More Heroes, maîtrise son sujet. Classieux, presque froid, son style bascule avec aisance dans le bestiale quand la violence est sans retenue.
Faire monter peu à peu la pression est d’ailleurs la force du récit. Les enjeux se font de plus en plus grands et Kyoko essuie plus d’une défaite. La qualité de la série atteint même son point culminant avec les tomes 6 et 7. Concluant la première des deux parties, ces volumes, épiques et nerveux, sont les meilleures vitrines de l’œuvre.
Un effondrement coupable
La suite sera moins glorieuse. En effet, si la première partie avait 7 tomes pour s’étaler, la « Saga Kyoko » comme l’appelle l’éditeur, ne recouvre « que » 3 tomes. Précipités, les évènements n’affichent aucune grandeur ni intensité. Frustrant et dommageable car il y avait matière à faire. Les clans Oni affichaient leur discordes, un nouveau ministre de l’intérieur (nationaliste) était élu et une belle palette de personnages arrivait, notamment le fringuant Goburi. Des pistes qui resteront malheureusement inexploitées. L’histoire va « éliminer » d’un trait tout le monde, sans nous émouvoir. Pire, certains seront simplement zappés (Mais où est passé le serviteur d’Uchida, puissant, mais qui délaisse son maître lors de l’ultime affrontement ?).
Le poids de la politique s’effacera peu à peu, pour laisser les armes faire couler le sang, avec plus ou moins de cohérence (les rapports de force ne sont pas logiques). Vient alors la valse des aspects passés à la trappe : Kurata a passé des mois à traquer son ennemi et devient un légume une fois l’avoir terrasser. Quid de la mort de Rikei, l’homme qui avait tout manigancé ? Et les sentiments de Goburi envers Kyoko ? Uchida, véritable prodige, se fait berner bien trop facilement. Enfin, les retrouvailles entre Kyoko et sa mère sont d’une mollesse sans nom. Même Yusuke Kozaki apparaitra moins inspiré, sauvant la mise par un flash-back teinté de polar sombre, narrant le passé de la mère de Kyoko.
Fort heureusement, le titre s’exonère d’un happy end total. On retiendra donc de Kyoko Karasuma son graphisme séduisant, son côté lutte politique et ses affrontements réussis. Autant d’atouts gâchés par une fin hâtive, écartant bien trop de points qui, exploités, auraient fait de ce bon seinen, un très bon seinen.