Découvrez les éditions Akata à travers leur directeur éditorial : Dominique Véret. Akata travaille en collaboration avec Delcourt pour la section manga et nous a permis de découvrir certaines perles du Japon comme Fruits Basket ou Saikano, Larme Ultime.
Pourriez-vous nous présenter votre politique éditoriale ?
Tout d’abord, nous ne voulons pas être prisonnier du marché du manga actuel comme le sont beaucoup d’éditeurs. Nous considérons que l’intérêt pour le manga n’appartient pas seulement à la génération qui l’a fait connaître. Nous sommes juste conscients que pourtant cette génération est bien entendue la plus consommatrice de mangas. C’est une réalité que nous cherchons à maîtriser pour la gestion économique de nos titres. À partir de cette considération, nous pouvons être un éditeur libre de son éditorial et entreprendre un travail plus aventureux, plus osé.
Pour ceux qui suivent l’actualité, il est évident que le Japon et l’Asie, la Chine dont nous entendons beaucoup parler en ce moment, vont intervenir de plus en plus dans nos quotidiens. Et pourtant les français ignorent tout de ce qui anime ces cultures. Avec le manga, nous disposons donc d’un formidable média pour rattraper ce retard et faire profiter les jeunes et le grand public d’informations qui leur seront utiles pour agir dans un monde en mutation où notre culture ne sera plus dominante. Notre politique éditoriale vise donc avant tout à faire connaître le Japon comme réalité humaine en éditant des mangas qui ne seraient pas que des produits se ressemblant à l’infini. Nous devons surprendre et amuser en faisant découvrir ce pays.
Cela fait maintenant 1 an que vous êtes arrivés sur le marché. Pourtant, en si peu de temps vous êtes devenus un des éditeurs les plus appréciés, quel bilan en tirez-vous ?
Énormément de stress pour reconstruire rapidement avec les Éditions Delcourt une équipe et un esprit de groupe après avoir fait ce travail avec la création des Éditions Tonkam. Après l’empirisme et le gaspillage de notre aventure Tonkam, nous avons eu la chance avec les Éditions Delcourt de travailler avec des personnes pragmatiques et ouvertes d’esprit. L’univers du manga n’était familier qu’à quelques personnes de l’entreprise même si beaucoup d’auteurs de BD franco-belge en lisaient déjà. Maintenant, le manga fait parti de la famille bande dessinée chez cet éditeur et c’est dans l’ambiance d’un bouillonnement culturel sympathique et prometteur que nous pouvons travailler.
Nous sommes encore loin d’avoir posé toutes les bases de nos ambitions éditoriales, un an c’est court, et il va nous en falloir encore deux pour que soit installé pour longtemps l’originalité du catalogue. Ensuite, on publiera dans la sérénité.
Avec l'arrivée en nombre de nouveaux éditeurs et près de 40% de sortie en plus par mois, d'après vous, le marché résiste-t-il bien ? Augmente-t-il ?
Le marché augmentera pour ceux qui auront réellement quelque chose à exprimer à travers ce travail. Le mercantilisme est une philosophie de plus en plus risquée dans cette activité. Les lecteurs progressent dans leur connaissance et compréhension de la culture japonaise. De plus, il y en a beaucoup qui ont mixé dans leur esprit des aspects des cultures japonaises et françaises. Les responsables éditoriaux et les commerciaux qui n’ont pas su en faire autant ne vont donc plus être performants.
Le grand public va aussi plonger dans le manga. Le sens de l’opportunité de la culture bobo commence à récupérer cette bande dessinée extrême-orientale. Manger bio, parfumer son intérieur à l’encens et lire Tajikarao, Planète, Monster et d’autres titres aussi fort devient in. Le manga va trouver aussi un écho plus favorable auprès des adultes en général. Ces BD stimulent la combativité face au quotidien dans la majorité des cas et elles peuvent remplacer facilement une influence culturelle américaine qui a de moins en moins de sens à proposer. La désinformation sur le manga ne fonctionne plus comme avant.
Notre catalogue a été réfléchi dès le départ pour répondre à l’évolution de l’opinion des adultes sur cette bande dessinée.
Quels seraient, selon vous, vos atouts et aussi vos défauts pour affronter la rude concurrence qui s'annonce ?
Nous n’avons pas le souci de la concurrence. Cette conception des choses n’a pas sa place dans notre travail. Nous avons des responsabilités à assumer face à la société car nos choix peuvent avoir des influences positives ou négatives sur le comportement de beaucoup de gens. Nous préférons considérer que nous allons devoir faire face à une émulation très forte. Mais nous l’avions prévu. Notre défaut serait alors de manquer de pragmatisme, de calme et de discernement. Conscients de ça, on travaille sur nous-même pour ne pas en être victime.
Pensez-vous que la prépublication soit viable en francophonie actuellement ? (Shônen collection, Tokebi mag et bientôt le Magnolia)
C’est risqué mais ça peut marcher. C’est beaucoup de travail, cela demande aussi des équipes soudées et déterminées à faire face à des aventures de longues haleines. Nous préférons en rester à l’édition de titres pour les librairies car c’est là que l’on peut surprendre le plus. Un magazine peut devenir routinier rapidement et dépendre trop d’un seul éditeur japonais ou coréen.
Que pensez-vous de l'exigence du respect du sens de lecture original, de l'utilisation de la couverture originale et du problème des onomatopées qui sont autant d'exigences des fans envers les versions francophones ?
Tout cela est normal. C’est naturel de vouloir lire des mangas dans leur forme originale. Quand avec Tonkam, nous avons publié des titres dans le sens de lecture français c’était des choix stratégiques. Le désir de conquérir un lectorat plus important ou de légitimer l’intérêt des jeunes pour le manga auprès de la presse et de gens qui avaient des préjugés. C’était des sacrifices nécessaires. Je ne me suis jamais intéressé à entrer dans un débat à ce sujet car de toute façon c’est le sens de lecture original qui est le plus populaire. Dans certaines circonstances, il peut-être souhaitable de changer les illustrations des jaquettes car les originales ne sont pas toujours adaptées à notre sensibilité.
La demande pour les mangas de type « seinen » augmente, pensez-vous satisfaire ce public actuellement et que prévoyez-vous pour le futur ?
Nous nous intéressons beaucoup au seinen car il y a maintenant plus à découvrir dans ce genre. C’est aussi plus agréable à éditer car le shônen et le shôjo s’adresse d’abord au Japon aux enfants et au ados. Ils sont finalement très faciles à publier car on sollicite un public sensible aux modes et consommateur. Cela n’empêche qu’il y a des chefs d’œuvre dans le shônen et shôjo.
Avec le seinen, on a la sensation de faire plus un travail d’éditeur car souvent ces mangas sont plus affirmés, réagissent plus fortement à des réalités de société et nous font découvrir l’originalité de la culture japonaise. Cela fait maintenant une quinzaine d’années que beaucoup de jeunes s’intéressent aux mangas. Si ses lecteurs entre 20 et 35 ans ne basculent pas maintenant vers le seinen, il y aura du souci à se faire pour cette génération. A quoi lui aurait servi ses première lectures de manga. Comme au Japon, le shônen et le shôjo vont bien finir par se contenter globalement d’un public de quinze-vingt ans.
La demande augmente dans le seinen mais pour l’instant les ventes ne sont pas aussi fortes que pour les shônen ou shôjo. L’évolution se fait petit à petit. Il faut être plus mûr pour en lire et on dirait que cela fait peur à beaucoup de jeunes adultes. Avec le seinen de toute façon c’est à un public plus large que les lecteurs habituels de manga que nous avons cherché à nous adresser. Et ça, ça commence à marcher. Paradoxalement ce sont les lecteurs de BD franco-belge qui sont en train de s’accaparer du seinen.
Quels titres publiés par un de vos concurrents auriez-vous aimé avoir dans votre catalogue ?
Monster, tout Jiro Taniguchi, Planète et pleins d’autres. Mais je n’en éprouve pas de la frustration. Cela prouve qu’il n’y a pas de concurrence dans le manga. Il y a tellement de mangas intéressants.
Comment choisissez-vous les titres que vous décidez d'éditer ?
On ne regarde pas du tout la copie du voisin. On fait attention aux autres, on les écoute. On lit beaucoup la presse (et surtout pas que manga) pour sentir les tendances, les centres d’intérêt du moment, pour les anticiper. On se laisse envahir par la culture asiatique. On peut ainsi chercher à repérer les questions que d’autres personnes pourraient se poser. Si on peut y répondre avec l’édition d’un manga avant qu’elles n’apparaissent dans leur esprit c’est bien pour eux et le titre plaira. L’important c’est avant tout de toujours pouvoir expliquer pourquoi on choisit un titre. C’est déjà une partie de son succès qui est ainsi assuré. Nous travaillons aussi à plusieurs pour choisir et décider à Akata des titres à publier car il ne serait pas juste d’imposer une seule vision des choses. Et il faut être idéaliste pour bien faire ce travail. Ce n’est pas l’égoïsme qui produit les meilleures idées.
Une politique d’auteurs verra-t-elle le jour comme ce fut le cas pour Tonkam ? Je pense notamment à Saki Hiwatari et Ai Yazawa.
Oui par la force des choses. Comme nous avons d’autres projets en plus du manga, nous devons avoir les moyens économiques de les réaliser. C’est bien d’induire des directions éditoriales ou de faire connaître des auteurs différents mais nous n’envisageons plus de prendre des risques qui profiteraient ensuite à des personnes qui ne mouillent jamais leur chemise dans ce métier. Nous avons fait connaître Ai Yazawa ce qui n’était pas évident au début. On a ensuite tardé à demander les droits de Paradise Kiss. Un autre éditeur les a donc obtenus. Cela ne se reproduira plus dans l’avenir.
Quel est votre programme pour l'année à venir ?
Les titres indiqués à l’avant dernière page du catalogue manga que viennent de publier les Éditions Delcourt. Niraikanai, Beck, Flic de Tokyo entre autres. Nous négocions aussi d’autres titres et il faudra attendre que les éditeurs japonais nous les accordent avant de les annoncer. Nous vous préparons de nombreuses surprises pour 2004.
Merci à Sae Cibot et Dominique Véret